Aliénation parentale : intox et propagande ?

Par Jacqueline Phélip (Pdte Association L'enfant d'abord) Mai 2012

Alors que des inconnues fondamentales demeurent, non seulement sur la nature même de ce concept, mais également sur l'étiologie, les critères de diagnostic, l'étendue et le traitement, un lobby de plus en plus actif essaye d'introduire le « syndrome d'aliénation parentale » (SAP) et/ou « aliénation parentale » dans la sphère judiciaire, en multipliant colloques et « formation » de magistrats et autres personnels judiciaires.

COMMENT EXPLIQUER LE SUCCES D'UNE THEORIE SI DEFAILLANTE ET DANGEREUSE ?

Le SAP est un concept séduisant pour des spécialistes non formés ou insuffisamment formés aux conséquences du divorce sur les enfants, et qui y trouvent une explication simple et facile, certains disent « simpliste », pour expliquer ou justifier tout problème de contact entre un parent et son enfant. Par ailleurs le mot « syndrome », comme nous l'avons vu ci-dessus, laisse à penser qu'il s'agit d'un état pathologique qui serait scientifiquement prouvé et diagnosticable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Gardner n'a jamais soumis ses thèses à la moindre évaluation scientifique, mais ses travaux ont bénéficié du prestige que procure le titre de « Professeur d'université » qu'on lui accole régulièrement mais indûment.

En effet, et contrairement à ce qui est affirmé, il n'était pas « professeur de psychiatrie » à la faculté de médecine de l'université de Columbia, ce qui en aurait fait un membre permanent de cette université habilité à l'enseignement et la recherche. Il n'y bénéficiait que du titre de « professeur clinique de psychiatrie », qui est un titre purement honorifique accordé par les facultés américaines à des médecins cliniciens qui permettent à des étudiants de venir assister à leurs consultations (Hoult, 2005 ; Bruch, 2006). De son propre aveu, Gardner n'y a consacré comme bénévole qu'un à 2 % de son temps. Ses revenus provenaient essentiellement de sa pratique d'expert près des tribunaux, pratique consacrée au « syndrome d'aliénation parentale » dans la défense d'hommes accusés d'abus sur enfant. Sa théorie n'ayant jamais fait l'objet de publications scientifiques, il avait créé pour la faire connaître et la diffuser, sa propre maison d'édition, Creative Therapeutics, qui commercialisait tous ses livres à compte d'auteur.

Il avait également créé un site Internet pour la promouvoir et proposer ses services en tant qu'expert et formateur. D'autre part, le SAP mettant en cause essentiellement les mères, il représente un formidable système de défense en ce qu'il dédouane tout père refusé par son enfant d'une remise en cause de son propre comportement. Des hommes regroupés en associations de droits des pères, ou ceux qui les soutiennent, ont vu l'intérêt qu'il y avait à en faire une large promotion, soit pour réfuter toute allégation de violence ou négligences faite à leur encontre, soit pour exiger la garde alternée présentée comme seul moyen de prévention, ou la garde totale des enfants. Ils renvoyaient vers le site de Gardner jusqu'en 2003 (année où Gardner s'est suicidé en se lardant de coups de couteau).

En 1999, le chercheur Hayward affirmait que les allégations d'aliénation pouvaient être un facteur judiciaire efficace pour les pères, et le docteur en droit J. Hoult note que la majorité des articles de recherche en droit sont très critiques à l'égard du SAP, les auteurs de ces articles le décrivant « comme une stratégie de défense pour les pères auteurs de violences, permettant à ces hommes d'inverser les rôles, de rejeter la faute sur les mères et de se servir du SAP comme d'une preuve leur permettant de se protéger des accusations d'agressions portées contre eux » (Hoult, 2006). Dans un mémoire présenté en 2001 à Munich, J. Johnston, professeur au Département d'Études judiciaires à l'Université San Jose de Washington, connue internationalement comme spécialiste des divorces hautement conflictuels, considérait elle aussi que l'étiquette SAP était une stratégie judiciaire à la mode qui ramenait à la guerre des sexes en dressant les pères contre les mères.

CE QUI N'EST JAMAIS DIT PAR LES PROMOTEURS DU SYNDROME D'ALIENATION PARENTALE

L'adoption de ce concept dans les tribunaux américains sans autre questionnement sur sa pertinence ou sa validité a en effet généré de nombreuses erreurs diagnostiques avec pour conséquences des solutions aux effets parfois dramatiques pour les enfants allant jusqu'au suicide et mort de certains d'entre eux. Un article du Newsweek (Sarah Childress, « Fighting Over the Kids », 2007 ) cite une recherche faite en 2004 par le professeur Jay Silverman de l'université de Harvard qui confirme que 54 % des dossiers de garde qui impliquaient de la violence documentée ont vu la garde des enfants confiée à l'agresseur et que l'aliénation parentale était plaidée par ce dernier dans presque tous les dossiers.

Dans ce même article, Richard Ducote, avocat à Pittsburgh, affirme que « l'aliénation parentale est devenue un cancer dans les tribunaux de la famille ». Dans un article du The Huffington Post daté du 20 janvier 2011, Joan Dawson, titulaire d'une maîtrise en santé publique, fait part d'un cas récent où une mère, refusant de confier son bébé de neuf mois à son père car ce dernier avait menacé de le tuer, et demandant des visites supervisées, fut accusée par son conjoint et soupçonnée par le juge de faire une aliénation parentale. Dès le premier jour de garde accordé par le tribunal, le père disparut avec l'enfant, et les deux furent retrouvés morts dix jours plus tard. Dans d'autres cas, ce fut le conjoint dit « aliénant » qui fut tué avec son enfant dès les premiers jours d'hébergement accordés par décision judiciaire. C'est en raison de ces situations que le guide révisé en 2006 du Conseil national des juges aux tribunaux de la famille (National Council of Juvenil and Family Court of Judges) des États-Unis a inclus un énoncé qui dénonce le SAP comme de la junk science, c'est-à-dire une « science de comptoir », et plusieurs États ont adopté des législations pour éliminer l'utilisation de ce type de défense dans les litiges de garde.

La calamiteuse expérience américaine n'a guère servi de leçon et la théorie de Gardner continue à être promue en l'état, non seulement par des parents, mais aussi par des avocats, des experts près des tribunaux ou des thérapeutes, des médiateurs, voire des travailleurs sociaux. Et bien que des chercheurs, spécialistes en sciences sociales et connus internationalement, aient démontré que le SAP et/ou aliénation parentale, ne repose encore sur aucune assise scientifique démontrée et indiscutable, il est promu en Europe, et particulièrement en France, Belgique ou Allemagne depuis ces dernières

INCLUSION DU SAP DANS LES NOSGRAPHIES INTERNATIONALES

Malgré le lobby acharné de certains et faute de preuves scientifiques suffisantes, les chercheurs connus comme références internationales en tant que spécialistes des conséquences du divorce sur les enfants, expliquent point par point les raisons de leur refus d'inclusion de l'aliénation parentale dans le futur DSM ( Diagnostic and statistic manuel)

En savoir plus

L'Association Américaine de Psychologie s'est également opposée en octobre 2011 à cette inclusion arguant que le "l'aliénation parentale n'a pratiquement pas de fondement dans la littérature scientifique"

L'Association Américaine de Psychiatrie a répondu le 5 novembre 2011 que le SAP avait été proposé par des groupes extérieurs mais n'avait pas été retenu pour cette inclusion