"Maman" - Interview Isabelle Alonso
C'est avec un gros cœur rouge griffonné au crayon, que vous illustrez votre dernier livre qui s'intitule " Maman ", le portrait d'une femme qui a été votre maman...
Isabelle Alonso à propos de cette maman aujourd'hui, parleriez-vous au passé ou au présent ?
Vous dites dans ce livre que depuis sa disparition le monde se divise entre ceux qui ont encore leur maman et ceux qui ne l'ont perdu et on lit aussi votre livre différemment selon le cas de figure où l'on se trouve, comment vivez-vous cela aujourd'hui ?
" Je suis dans une sorte de stupeur, comme si je n'y croyais pas vraiment, pas tout à fait. Elle est tellement présente en moi que si demain elle me passait un coup de fil, je n'en serais pas autrement surprise…"
L'enfance meurt avec ceux qui en furent les témoins dites vous, vous avez basculé dans le tout adulte avec son départ ?
" J'espère que non. Plutôt dans une certaine forme de solitude, le sentiment le plus subjectif qui soit, car je suis loin d'être seule. Cela serait peut être différent si j'avais été mère à mon tour, mais comme ce n'est pas le cas, je crois que je me définis encore comme étant, d'abord, fille de. Sa fille. "
Vous écrivez le dernier chapitre de la vie de votre maman. Sa vie étant un vrai roman ; une femme debout, qui a eu quatre enfants, qui a affronté la folie des hommes et des guerres, qui a été un exemple pour vous. Que retenez vous de son parcours de vie, et que souhaitez-vous garder vivant ?
"Garder vivante sa vitalité, justement. Elle était amoureuse de la vie, sans conditions, et refusait l'idée même de mourir. Je garde son rire, sa gaieté, sa façon de tout tourner en dérision et donc de tout relativiser."
Quelles ont pour vous ses trois qualités majeurs et à l'inverse ses trois défauts récurrents ?
"Je suis incapable, surtout maintenant, d'envisager ma mère autrement que comme un tout. Qualités ? Défauts ? Peu importe, puisque c'est l'ensemble qui faisait qu'elle était elle. Disons que je ne me suis jamais sentie à même de la juger. Elle était elle, point, et ça me convenait. Faisait passer sa famille avant tout, inconditionnellement. Ne supportait pas l'injustice, quelle qu'elle soit. Détestait la religion, toutes les religions. Adorait la futilité, la légèreté, les petites gourmandises de la vie… Elle était courageuse et drôle, elle savait tout faire et ne reculait devant rien. "
Comme tous ceux qui sont confrontés à la fin d'une vie, vous avez touché du doigt les problématiques liées à la vieillesse, de la culpabilité des enfants à ne pas être suffisamment là, ou capable de prendre en charge cette personne âgée, et bien sûr au relais que propose une société visiblement peu engagée dans la bientraitance. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
"Que je regrette encore aujourd'hui de ne pas l'avoir prise avec moi, sous mon aile, pour l'accompagner jusqu'à la fin… De ne pas avoir eu ce courage là, parce qu'on ne sait jamais à quoi on s'engage.
Vous dites le corps de sa mère pour un enfant est son doudou ultime , mais depuis quelques années, ce lien n'est plus au goût du jour, voire remis en question, ne dit-on pas : un papa=une maman, notamment dans le cadre des séparations parentales ? Des bébés, des enfants tout petits sont ainsi mis en partage et ne voient plus leur mère durant des jours pour favoriser l'égalité parentale, qu'en pensez-vous ?
" Qu'il faut être sacrément hypocrite ou de mauvaise foi, pour ne pas faire la différence. J'aime profondément mon père, et je l'admire. Et ce sentiment est très différent, moins charnel, moins immédiat, moins épidermique que celui que j'avais pour ma mère dont le corps même était pour moi comme une refuge où je pouvais me retrouver, me reconstituer, juste en m'asseyant à côté d'elle. C'est comme ça… Avec mon père, je plaisante, je bois un verre, c'est précieux et différent. Avec ma mère, j'étais en osmose immédiate, comme si ma présence de neuf mois en son sein, puis mon apparition au monde avaient signé entre nous un pacte inconditionnel d'une solidarité qui n'avait pas besoin de mots.
Notre association milite pour la constance de ce lien, pour sa reconnaissance aussi, pour la protection de la maternité et la prise en compte des besoins des enfants face à ce lien d'attachement spécifique et unique, est-ce une position régressive selon la féministe que vous êtes ?
"Au contraire. C'est un plus. Porter les enfants et accoucher doit donner des droits. Il est hors de question de continuer à être pénalisées pour ce que nous apportons. Nous ne voulons pas le bébé ou la carrière, nous voulons le bébé ET la carrière. Nous ne voulons plus être enfermées dans des choix impossibles, mais qu'il soit reconnu que faire les enfants est un apport vital à la société, et donc doit apporter à celles qui le font une rétribution spécifique, quelle qu'en soit la forme, et compatible, cumulable, avec toute autre rémunération. "
Le combat pour une égalité des droits, femme/homme, n'a-t-il pas fait un amalgame et accouché d'une égalité des genres, qui nie plus la maternité qu'elle la reconnait dans sa spécificité féminine?
"La notion de genre est un cache sexe destiné à noyer la vraie question. Il ne s'agit pas d'agiter une égalité des genres qui ne veut rien dire (où est l'égalité dans la procréation, par exemple ?), mais d'imposer la fin d'une injustice bel et bien basée sur le sexe. Le sexe, bêtement anatomique! "
Avoir des enfants semble être une fragilité supplémentaire (voire un handicap) pour les femmes dans notre société, vous évoquez cette capacité à s'indigner qu'avait votre maman , une révolte contre l'injustice qui ne s'émousse pas , écrivez vous. Sont-elles révoltantes pour sa fille ces injustices faites aux femmes parce qu'elles sont mères ? Es aceptable para la hija de un resistente?
"On a le sentiment que la paternité se décline en termes de droits, et la maternité en termes de devoirs. La maternité, apport vital, est traitée comme un handicap. Il est temps de se révolter! "
Pensez vous qu'il faille se mobiliser pour elles, et se pencher plus sérieusement sur ces difficultés, liées, directement à leur maternité ?
"Evidemment ! Et faire en sorte que cette question fasse partie intégrante des thèmes de la campagne présidentielle qui commence. C'est LE thème le plus important et le plus porteur de modernité. "
Merci infiniment Isabelle Alonso d'avoir répondu à nos questions
(SOS les MAMANS Juin 2011 - Tous droits réservés)
*Ndlr
- On les retrouve sous le seuil de pauvreté accueillies avec leurs enfants majoritairement par le Secours Catholique.
- On ne les soutient pas quand elles sont " monoparentales " avec bien souvent des défauts de pension alimentaire pour leurs enfants.
- On sanctionne cette maternité dans l'entreprise au retour de congé maternité.
- On les emploie avec sur temps partiels mal payés, ou des pleins temps ingérables quant elles élèvent seules des enfants.
- On leur impose le partage avec les hommes des trimestres supplémentaires accordés au titre de la maternité dans le cadre de leur retraite, alors que celle-ci est déjà amputée de nombreux trimestres quand elles ont fait le choix d'élever leurs enfants,
- On les juge possessives en cas de séparation parentale (voire aliénantes) et on leur impose le partage d'enfant et une autorité parentale conjointe, même en cas de violences intra-familiale.
- On les protège peu (car on met leur parole en doute constamment) et elles paient au prix de leurs vies, des appels au secours qui ont fait " pshitt " dans les prétoires, et qui font la une des faits divers très régulièrement.
Isabelle ALONSO
"MAMAN"
Editions Héloïse d'Ormesson.
2011