"Tu l'aimais quand tu m'as fait?" - Interview Hélène Couturier 

Votre 4eme roman vient de paraître aux éditions Presse de la Cité, il s'intitule " Tu l'aimais quand tu m'as fait ? " et vous nous emmenez, à travers l'enquête de votre héroïne, la lieutenant de police Rebecca, dans l'univers mal connu du grand public, de la justice familiale. Comme Rebecca, vous avez du enquêter, comment avez-vous réuni les informations qui fondent la trame de votre livre ?

Hélène Couturier

" A la sortie de neuf années de procédure cauchemardesque, je me suis interrogée : c'était mon attitude ou le fonctionnement même du système judiciaire qui avait entrainé une telle situation ? J'ai enquêté, questionné des dizaines de personnes : des justiciables comme des professionnels. J'ai alors découvert que mon parcours n'était pas un cas isolé, juste un cas parmi d'autres. J'ai compris que sous prétexte de maintenir un lien avec les deux parents (et ce, quel que soit l'état psychique d'un des parents), l'équilibre de l'enfant pouvait être relégué aux oubliettes. Tout cela, bien évidemment, au nom, soi disant, de son intérêt supérieur."

-Qui est cette femme sur qui Rebecca va être amenée à enquêter et comment la rencontre-t-elle ?

" Avant d'être mère, la femme était une citoyenne sans histoire. Prof de français. Une famille et des amis. L'enfant né. La situation dégénère entre les parents. La mère veut partir. Le père refuse. Il enchaîne les procédures et la mère devient une coupable de premier choix pour le système judiciaire. Elle est à la fois soumise par le père et par le système, vie auscultée, radiographiée en tous les sens. Quant à Rebecca, des années auparavant, elle a assisté à une scène entre le père et la mère. "

Cette rencontre fortuite sera déterminante, car Rebecca saisi quelque chose dans ces instants qui l'engagerons à creuser dans cette affaire. Pourtant l'enquête semble facile, cette mère a disparu avec son enfant, elle le soustrait aux droits du père, elle est coupable, elle encourt une peine de prison ferme. Qu'est ce qui ne tourne pas rond pour Rebecca ?

" Suite à cette double disparition, Rebecca penche illico pour un enlèvement parental car l'ex couple fait l'objet d'une procédure longue et complexe pour la garde de leur enfant. Puis, en parcourant les rapports rédigés par les services sociaux, Rebecca détecte un tel acharnement contre la mère qu'ils en deviennent suspects. Je me souviens qu'un jour, une assistante sociale m'a dit : Une femme qui quitte n'est pas une victime ! C'est éloquent, non ? Il y a une absence totale des analyses des pratiques professionnelles. C'est-à-dire que l'assistante sociale qui me dit ça, a vraisemblablement dû était quittée et souffrir, et cette souffrance la conduit à punir toutes celles qui s'arrogent le droit de le faire. Des exemples comme celui-là, j'en ai des dizaines. Tiens, je devrais en faire un petit livret d'aphorismes : " Dans l'intimité des intervenants la justice en matière de droit de garde d'enfants ". "

Le parent qu'elle a en face d'elle est plutôt sympathique, il a un job d'ébéniste, un peu baba cool, agréable, coopératif et il est très affligé. C'est lui la victime..., pourtant, c'est une photo trop ostensible qui va le trahir…

"Le père est éminemment sympathique. Il n'a de cesse d'évoquer la fragilité de la mère et semble aussi soucieux de son devenir à elle que de celui de l'enfant. Il a réponse à tout, est capable de justifier la moindre de ses attitudes, il répète en boucle avec des trémolos dans la voix que lui, ce qu'il veut, c'est uniquement le bien de leur fils, réussir à être de bons parents séparés. Les juges et leurs nombreux " envoyés " (les services sociaux) adorent ce genre de discours. Mais Rebecca va creuser au-delà des apparences et découvrir que la bouche de l'enfant a été verrouillée par ceux qui étaient censés l'aider à dire. L'enfant sous scellés. Rebecca aura alors à choisir entre sa propre morale et la loi."

On commence à entrevoir les contours d'une manipulation, et Rebecca découvre le long parcours sociaux judiciaire de cette femme, qui à pour enjeu la vie de son fils, et qui tente de démontrer une réalité qui visiblement n'intéresse personne et qui va même la desservir !!!Comment, cette femme et mère lambda, professeur dans un lycée, devient-elle la cible de toutes les critiques et de tous les accusations en quelques années de convocations au tribunal, d'injonctions, d'enquêtes sociales, ou encore d'expertises.. ?

"On touche au cœur du problème : la dictature de la Sainte Trinité. Un papa une maman et un enfant. Les lois en faveur de la co parentalité absolue ouvrent un boulevard au parent qui veut pourrir la vie de l'autre : l'enfant devenant son bras armé. "

La justice dit d'elle-même qu'elle ne cherche pas la vérité, mais qu'elle statue au vu des pièces du dossier pensez vous que cette justice correspond dans son fonctionnement au besoin de prise en charge d'un dossier familiale derrière lequel se joue des vies d'enfants, et qui semblent donner raison au parent le plus offensif ?

" Rebecca dit : " Ce n'est pas la vérité que la justice cherche mais le sentiment de vérité qu'on lui donne à digérer, avoir l'air vrai. " Mais autour de moi, tous ceux qui n'ont pas été directement concernés par cette justice-là me répliquent : Ce n'est pas bien de critiquer la justice. Des journalistes (qui n'ont jamais mis les pieds dans le cabinet d'un J.A.F ou d'un juge pour enfants) m'assènent des : C'est très violent ce que vous racontez, ça ne se passe pas comme ça… Et au final ils refusent de parler du livre. Il y a aujourd'hui une confusion totale entre l'évolution des droits des pères et l'équilibre de l'enfant. La relation " mère/enfant " ne sera jamais identique à celle du " père/enfant ". Et quand je dis cela, je pense, par exemple, à une femme qui abandonne son enfant. Elle est aussitôt envisagée comme une malade. Et très clairement, ça relève d'une pathologie nettement plus proche de la psychose que de la névrose. Mais un père qui abandonne, on dit de lui, c'est normal, ce n'était pas un enfant désiré. Là encore, no coment !

- Tu l'aimais quand tu m'as fait ? , votre titre est une question d'enfant à sa maman, et l'on sait, nous adultes parfois concernés, nous n'avons pas toujours une réponse simple à donner à nos enfants dans le cadre des séparations parentales, c'est avouer faire des erreurs de jugement, comme cette maman. L'enfant du roman a huit ans et comprend à ses dépends que plus il raconte, plus il s'enfonce …

"En ce qui me concerne, avouer à mes enfants que j'ai commis une erreur de jugement ne me pose pas de problèmes, et entre nous, ils n'ont pas besoin que je la leur avoue pour s'en rendre compte. Mais quand vous avez devant vous un gamin de neuf ans qui vous explique que plus tard, si on lui fait du mal, il n'ira surtout pas le dire à la justice parce que la justice trouverait encore le moyen de lui dire que ce n'est pas vrai, qu'il invente, vous vous dites juste : Là, j'ai commis une énorme erreur de jugement et même si vous condamnez l'enlèvement parental, soudain, vous comprenez les parents qui se sont emparés de leur progéniture pour la préserver de ceux censés les défendre. "

En refermant votre livre on ne peut s'empêcher de penser que des femmes aujourd'hui ne peuvent pas se permettre de quitter des hommes, car certains devenus père mettront tout en œuvre pour leur faire payer cet affront, jusqu'à vouloir les déposséder de leurs enfants. On parle beaucoup de pervers manipulateur , cela semble être le portrait du père dont la toxicité est frappée d'invisibilité. Partir a été le seul choix pour cette maman, c'est le constat de Rebecca ?

"Le père relève du groupe des pervers narcissiques. Mais ce qui m'intéresse davantage, c'est la perversité - narcissique ou pas - du système judiciaire. Ce système est empli d'intervenants qui règlent leurs propres problèmes à travers ceux dont ils ont le suivi. Nous en revenons à l'absence d'analyses des pratiques professionnelles que j'évoquais plus haut. Pour limiter les dérapages, je propose que les interventions (audiences, rendez-vous avec psychologues et assistantes sociales, etc.) soient enregistrées, au moins le son. Je pense alors que certains intervenants feraient attention à leurs mots et ne se permettraient plus de dire à un enfant ou à un parent qu'il ment sans l'avoir vérifié ! Oui, vérifier avant d'accuser, ce serait déjà un bon début et réduirait considérablement les dépenses publiques !"

Merci infiniment Hélène d'avoir répondu à nos questions

(SOS les MAMANS Avril 2011 - Tous droits réservés)

Hélène COUTURIER

Tu l'aimais quand tu m'as fait ?

Collection Grands Romans

Presse de la cité
Janvier 2011

En savoir plus