Colloque international Violences Post Separation Ottawa
Interview d'Alexandra Vincent et de Marcela Dedios
Dans le cadre du colloque international sur la violence post-séparation à Ottawa organisé par FemAnVi les 11 et 12 avril 2017, nous avons fait la connaissance d'Alexandra Vincent et Marcela Dedios.
Elles sont respectivement travailleuse sociale et intervenante socio-juridique à L'Escale pour "Elle", une maison d'aide et d'hébergement pour des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Cet organisme offre des services à l'interne, à l'externe et post-hébergement à Montréal au Canada. Nous avons voulu en savoir plus sur leur travail et la problématique des violences post séparation...
Interview de Gwenola Sueur.
SSMM
Alexandra Vincent et Marcela Dedios vous êtes intervenues le 12 avril dans le panel : “ Le système protège-t-il les femmes et les enfants”. Pouvez-vous nous faire une analyse rapide du traitement des situations de violence conjugale au Québec ?
A.Vincent& M. Dedios.
"Selon nous, le traitement des situations de violence conjugale au Québec est préoccupant. Malgré un plan d’action gouvernemental en violence conjugale , la définition même de la violence conjugale est souvent remise en question et la tendance actuelle, dans la plupart des milieux, est de comprendre et nommer la violence conjugale comme étant de la chicane de couple ou de la violence situationnelle.
Les situations dans lesquelles la violence du conjoint persiste ou augmente après la séparation et qui demande l’intervention des tribunaux sont souvent perçues comme des conflits de séparation ou des litiges de garde d’enfant, surtout si la mère cherche à diminuer ou encadrer les contacts père-enfant. Ces concepts sont largement utilisés par les intervenants sociaux, les avocats et juges en droit de la famille comme en protection de la jeunesse. On déresponsabilise l’agresseur de ses comportements de contrôle et de violence et on met davantage le blâme sur la mère, voire on la tient responsible des agissements du père.
Quant aux expertises psycho-sociales et psycho-légales en matière de garde d’enfant et de droit d’accès, nous constatons que la question de la violence est complètement évacuée. Elle peut être nommée, dans les cas où le dossier criminel est plus lourd, mais elle demeure toutefois absente lorsqu’il est question de faire des liens entre la violence exercée par le conjoint avant, pendant et après la séparation et les capacités parentales de ce dernier.
Nous remarquons par exemple que le vocabulaire utilisé est souvent ambigu et inexact en ce qui concerne les faits de violence rapportés par la victime. De plus, on utilise un discours symétrique entre les deux parents, tant sur leur responsabilité quant à la « situation-problème » que sur leurs capacités parentales qui finalement sert souvent à finalement justifier une recommandation de garde partagée.
Nous nous questionnons sérieusement sur l'importance accordée coûte que coûte à l’égalité parentale, souvent au dépit de l'analyse du meilleur intérêt de l’enfant. La majorité des rapports d’expertise vont dans ce sens en invoquant l’importance pour l’enfant d’avoir un accès égal à ses deux parents, peu importe son vécu, et recourant à des citations théoriques souvent hors contexte. Tout au long du processus d’expertise, des expertes minimisent la dangerosité du père dans ces dossiers, ce qui a souvent pour effet et on le constate, d’ouvrir grande la porte au harcèlement et à la violence post-séparation exercée en toute impunité par le père, et qui touche de front les enfants."
SSMM
En France nous avons fait les mêmes constatations. Les mères séparées nous font état d’intervenants sociaux(assistantes sociales,éducatrices) et d’experts désignés par le Juge aux affaires familiales ou le Juge des enfants minimisant voir occultant également la violence conjugale. Comment à votre avis y remédier afin d’éviter que les victimes ne subissent une double peine ?
A.Vincent& M. Dedios.
Malheureusement, le vécu des femmes victimes de violence conjugale n’est que peu considéré dans les interventions de plusieurs acteurs socio-juridiques quand ils interviennent après la séparation. L’idéologie dominante est que la violence cesse une fois que les parents sont séparés. Ainsi, on met de côté une grande partie du vécu de l’enfant dont on prétend défendre l’intérêt. Les interventions que nous privilégions sont donc le résultat des impacts que nous observons chez les femmes et les enfants et ce, dans des suivis à long terme.
Nous accompagnons les mères dans l’ensemble de leurs démarches et travaillons avec elles leur « dossier ». Nous travaillons à mettre en évidence les faits et les répercussions chez les enfants. Il s’agit de faire un travail de documentation où l’art de questionner prend toute son importance. Nous devons aussi collaborer systématiquement avec les avocat.e.s et autres acteurs. Selon nous, les décisions portant sur la garde et les droits d’accès devraient prendre compte du vécu de l’enfant et de son rythme. Nous travaillons donc en ce sens et optons pour le mode « solution » et surveillance des comportements de violence envers ou via les enfants lors des exercices de droits d’accès.
Nous avons constamment en tête des scénarios de protection et amenons les femmes à développer les leurs. Comme nous savons qu’il est difficile de remédier au fait que les femmes vont subir ce traitement, notre accompagnement dans leurs démarches implique nécessairement de la validation, du recadrage, une disponibilité et beaucoup de défense de droit. Malgré tout, nous les voyons prendre du recul sur leur situation et reprendre graduellement pouvoir sur leur vie. De plus, nos interventions auprès des enfants doivent se faire sur du long terme, où l’enfant a son espace, un temps pour jouer et s’exprimer librement sur son expérience, ses peurs, ses insécurités bref, un lieu de répit. Finalement, le temps est le meilleur allié de ces femmes et ces enfants.
Les intervenantes qui oeuvrent dans ces situations doivent, selon nous, connaître la problématique de la violence conjugale, être bien outillées sur plusieurs aspects légaux, avoir un esprit critique et une vision globale des enjeux. Pour conclure, nous sommes d’avis que les avocats et les juges doivent se former à comprendre ce qu’est la violence conjugale et la violence post-séparation et comprendre l’impact de leurs décisions sur la vie des enfants et femmes qui subissent ces violences. Il y a des professionnels dans le milieu qui font un excellent travail, du fait qu’ils reconnaissent la violence conjugale et en tiennent compte dans le traitement de leurs dossiers.
Merci à Alexandra Vincent et Marcela Dedios pour cette interview.
© SOSlesMamans Mai 2017