Interview du professeur Jean Yves Hayez
Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile, docteur en psychologie, coordonnateur de l'équipe SOS Enfants-Famille et responsable d'une unité de pédopsychiatrie dans une clinique située à Bruxelles (Belgique), répond aux question d'SOS les MAMANS, sur le thème de l'enfant, de la famille, de la séparation…
"La vraie trahison est de suivre le monde comme il va et d'employer l'esprit à le justifier." Jean Guéhenno.
Maxime proposée par le professeur Jean Yves Hayez
I.L'enfance
1.Professeur pouvez vous nous dire qui vous êtes et nous donner les dates, événements, essais, réflexions, personnages clefs qui ont marqué votre parcours ?
Je suis Psychiatre d'enfants et d'adolescents depuis 1974, docteur en psychologie .J'ai dirigé durant de nombreuses années la psychiatrie de l'enfance et de l'adolescence à l'université catholique de Louvain, aux cliniques universitaires st Luc à Bruxelles .Je suis de formation éclectique, je n'appartiens pas à une école précise de pensée en psychologie .Je me considère plutôt comme un phénoménologue. Je suis en constante recherche, d'ailleurs j'ai écrit une dizaine d'ouvrages dont " la sexualité des enfants" " La destructivité chez l'enfant et l'adolescent " "L'enfant victime d'abus sexuel et sa famille". Le dernier, écrit en 2010 avec le docteur de Becker s'intitule " la parole de l'enfant en souffrance "."
J'axe mon travail sur la pédopsychiatrie générale, avec une attention plus particulière pour la pédopsychiatrie sociale qui vise un public plus vulnérable, fragilisé par des situations sociales et familiales particulières (enfants placés en institutions, en situation précaire ect…).
Des personnages clefs ont influencé ma pensée, ma réflexion, mes recherches dont de grands psychanalystes tels que Serge Lebovici ou Michel Basquin , mais mon maître à penser est un Français, émigré depuis une vingtaine d'années au Canada à Montréal qui est Michel Lemay. Il est un excellent clinicien aux valeurs sociales avérées.
2. Pourquoi vous êtes vous orienté dans une carrière dédiée à la cause des enfants ?
" Mon histoire de vie a participé fortement à l'orientation que j'ai souhaité donner à ma carrière professionnelle. Il est très intéressant pour moi de travailler avec l'enfant et l'adolescent, leurs codes, leur symbolique sont différents de celle des adultes et c'est en cela que mon travail de recherche prend tout son sens. J'étais moi même enfant unique et la présence de frères et sœurs m'a certainement manqué d'où mon intérêt à m'intéresser aux enfants .Lors de ma scolarité, vers l'âge de 14 ans , un père Jésuite m'a permis de découvrir le monde des enfants défavorisés et ces rencontres ont vraisemblablement participé à mon engagement. "
3. Quels sont les maux d'enfant les plus fréquents que vous avez à traiter et leur(s) cause(s) ?
" les maux d'enfant sont variés et il faut pouvoir être à l'écoute de chacun d'eux en toute objectivité, en respectant leur unicité. Les souffrances les plus pénibles à mes yeux me sont rapportées par des enfants maltraités, abusés, ceux qui ont une image d'eux mêmes assez dégradée et des pensées de mort.
L'amour que peut leur porter la famille joue un très grand rôle dans leur construction. La souffrance de l'enfant est souvent à comprendre de façon systémique, considérant que sa souffrance est en résonance avec l'attitude de sa famille et de la société à son égard.
L'amour, la protection, la capacité à stimuler et a sociabiliser l'enfant participent à son épanouissement. L'indifférence à son égard, nier ce qu'il est en tant qu'individu peut être à l'origine de grandes souffrances. "
4. Sommes-nous face à un phénomène de société grandissant et inquiétant pour l'avenir de nos enfants concernant les séparations parentales?
"Après avoir assisté à un discours très moralisateur/ pathologisant, nous sommes aujourd'hui face à une banalisation du discours sur les séparations parentales et leurs conséquences. Les écrits socio et psychologiques banalisent les conséquences immédiates des séparations ; Quant à celles-ci, leur nombre a passablement augmenté dans le contexte d'individualisme et de consumérisme caractéristiques de nos sociétés. L'être humain et plus précisément l'adulte sont encouragés à se séparer pour garantir leur épanouissement personnel.
Or, s'il est vrai que l'enfant peut moins souffrir d'une séparation parentale que d'une situation parentale indéfiniment et gravement conflictuelle, marquée par la violence conjugale, il ne faut pas pour autant banaliser les répercussions de la séparation sur l'enfant : elle reste une source de tristesse pouvant engendrer un sentiment d'insécurité, de culpabilité, et une peur de la perte. La responsabilité principale du parent qui se sépare est de pouvoir laisser libre l'enfant dans sa pensée, ses choix, ses sentiments et de respecter l'autre parent : c'est vrai dans la grande majorité des cas.
Il sera plus difficile pour un enfant de panser ses plaies dans les situations où l'un ou l'autre parent continuent à entretenir une relation haineuse après la séparation surtout s'ils prennent l'enfant en otage. Alors, celui-ci aura tendance à se montrer conformiste en niant ses propres émotions, une forme de négation de soi.
Je ne crois pas qu'en 2011, il y aura encore une augmentation significative du pourcentage des séparations parentales .Par contre, ce qui semble croître, ce sont les familles " acrobatiques ".Ces familles qui n'arrêtent pas de composer, recomposer en instaurant de nouveaux codes de référence, en bousculant un schéma familial traditionnel stable. Vivre à quatre adultes, se déclarer transsexuel, boosté impulsé par cette perspective individualiste triomphante qui nous envahit, l'imposer à l'enfant en ajoutant que " l'enfant n'aura qu'a comprendre et s'adapter "…où s'arrêtera-t-on ?
La vulnérabilité de l'enfant dans ces cas est nié, sa faculté d'adaptation sur évaluée, et ses capacités d'intégration cognitives et émotionnelles malmenées.
En cas de séparation des couples, la pratique des hébergements égalitaires peut être intéressante, mais appliquée systématiquement, elle peut aussi s'avérer dévastatrice. Or c'est vers cette systématisation que l'on évolue : En Belgique par exemple sont pratiqués ces hébergements sur le principe de la résidence alternée sans que ne soit pris en compte les kilomètres qui séparent les parents, le conflit parental persistant éventuellement énorme, l'âge de l'enfant qui peut être aussi un jeune bébé.
L'hébergement égalitaire expérimenté d'une manière systématique et sans garde fou est le corollaire du droit individualiste à se séparer. "
II. Famille
1.Aujourd'hui face aux séparations parentales conflictuelles ou non, la réponse sociale est de partager un enfant entre un père et une mère sur un principe d'égalité avec pour outil la résidence alternée, qu'en pensez-vous ?
" J'ai développé dans un article publié dans plusieurs revues cette question de l'alternance que l'on veut remplacer aujourd'hui par le terme égalitaire ( voir sur mon site l'article http://www.jeanyveshayez.net/brut/380-hepa.htm). L'application égalitaire imposée à l'enfant sous-entend que, s'il n'en est pas ainsi, l'un des parent est victime d'injustice ; c'est l'application d'une nouvelle aspiration sociale égale à l'individualisme, et qui est l'égalitarisme.
Pourtant, il reste bien nécessaire d'évaluer chaque situation au cas par cas et par des services compétents, sereins, sans a priori, pour examiner quel est le type d'aménagement qui implique le moins de déconvenues pour l'enfant. L'hébergement égalitaire n'est pas nécessairement le meilleur. Par exemple, si les parents habitent trop loin l'un de l'autre, que ce type d'hébergement empêche la vie sociale des enfants et les incite à se reclure dans certaines formes d' isolement tels la télévision, Internet ect...
Il peut aussi être une stratégie de la part de l'ex conjoint pour ne pas avoir à payer une pension alimentaire, niant dans ce cas les besoins de l'enfant sur le seul principe de la vengeance. Il est a noter que nous constatons qu'après avoir obtenu la résidence alternée un certain nombre de parent demandeurs sont incapables d'exercer leurs responsabilités et confient l'enfant aux grand parents.
Concernant la question du tout petit avant 4/5 ans, il est à mettre en évidence que ce type d'hébergement prive l'enfant de sa principale figure d'attachement, à qui il a besoin de se référer de façon stable et qui demeure dans la majorité des cas la maman ( voir mon article http://www.jeanyveshayez.net/brut/702-hebe.htm) En tant qu'hommes nous devrions nous incliner devant le plein que doit faire le petit enfant de la présence de cette figure d'attachement. "
2. Etes vous d'accord avec le Professeur Maurice Berger qui dit qu'un père et une mère sont égaux devant la loi mais pas dans le psychisme d'un enfant .
" Un père et une mère sont tous deux importants et complémentaires en tant que référent identitaire avec leurs fonctions maternelle et paternelle, restant souvent majoritairement liés à leur personne sexuée concrète
Mais cela ne nécessite pas une présence strictement égalitaire dans la vie de l'enfant .La quantité passée avec celui-ci n'est pas ipso un critère de qualité.
Je rejoins le Professeur Maurice Berger, dans ce qu'il préconise pour les tout petits : leur assurer une présence forte et stable de la première, habituellement la maman figure d'attachement, même si le papa est bien investi auprès de son enfant. Il faut que progressivement, à l'intérieur cet attachement maternel, que l'enfant puisse s'ouvrir au père. Et donc celui-ci devrait pouvoir avoir de multiples petits contacts avec l'enfant de Forcer le petit enfant à vivre en alternance égalitaire avec ses deux parents, sans progressivité viendrait abîmer son sentiment de sécurité. "
3. Nous constatons à travers des témoignages de mamans, de plus en plus nombreux, que la souffrance de leurs enfants leur est reprochée en cas de séparation parentale. Des professionnels sociaux et judiciaires n'hésitent pas à qualifier les mères de possessives, trop fusionnelles, angoissées voir aliénantes lorsqu'elles tentent de protéger leurs enfants d'un père dangereux, quel est votre constat ?
" Nous faisons exactement ce même constat en Belgique, et surtout dans les milieux Judiciaires. Ce phénomène intervient souvent lorsqu'une maman tente de protéger son enfant, de faire part de ses inquiétudes ou met en avant que son enfant a besoin d'elle.
Malheureusement, au plus la mère tente d'avancer et faire valoir ces arguments et au plus elle risque de provoquer le contraire de ce qu'elle pense et d'être qualifiée d'aliénante.
Il y actuellement une lecture sociale anti mères, ce que je pense pouvoir expliquer par le fait que les juges se font porte parole de cette philosophie égalitariste. Plus ces mères protestent et au moins elles sont entendues .Les juges sanctionnent radicalement ces citoyennes qui osent ne pas être soumises et s'opposer aux idéologies les plus contemporaines Dans ces cas où la mère indispose les juges en Belgique préfèrent s'arrêter à la garde alternée au retrait total de la garde à la mère. Ceci s'explique par le fait qu'en Belgique, les écrits de Gardner sont moins une référence pour les magistrats qu'en France. Ceci se traduit malgré tout par des procédures interminables avec des parents protecteurs exténués et des enfants sous tensions extrême. Nous nous retrouvons donc face à des rôles inversés dans les tribunaux, les victimes sont considérées comme des êtres malveillants.
4. Le syndrome d'aliénation parental, non reconnu par la communauté scientifique, ne serait-il pas le nouveau moyen :1. de nier un lien exclusif maternel nécessaire entre un enfant et sa mère ?2. de museler le parent protecteur en cas de danger imminent pour l'enfant de la part de son autre parent ?3. de discriminer, décrédibiliser un parent sur son origine sexuelle ?
"Le concept d'aliénation parentale est à manier avec beaucoup de prudence comme je le rappelle dan mes écrits accessibles sur mon site (voir par ex http://www.jeanyveshayez.net/aliena8a.htm).
Dans le chef des ardents promoteurs du concept, c'est une stratégie beaucoup plus concertée. Des associations composées en grande partie des pères, prétendent haut et fort que, pour chacune de leurs situations particulières, on se trouve dans le cadre d'une aliénation parentale. Ces associations se sont souvent constituées en véritables lobbies , cherchant à influencer les scientifiques, les magistrats, l'opinion publique, etc.
Or, la composition de ces groupes est plus complexe qu'il n'en a l'air : à côté d'une présence minoritaire de parents réellement victimes d'injustice et d'aliénation, il y en a davantage qui sont en bagarre et en rivalité perdurantes avec leur ex-conjoint : sorte d'énormes bras de fer où ce qui compte, ce n'est pas vraiment le bonheur de l'enfant, mais plutôt finir par l'emporter sur l'autre. Ces lobbies sont souvent intellectuellement puissants et leurs membres ont des statuts sociaux forts et donc leurs revendications et leurs pressions sur les idées de la communauté sont efficaces. Les mouvements féministes voient même dans celles-ci une passe d'armes plus générale dans la lutte sociale entre le pouvoir des hommes et celui des femmes.
Néanmoins, dans la majorité des situations où un parent est refusé, les causes sont multiples ; familiales, liées au contexte psychosocial et judiciaire. Dans l'histoire du couple et de la famille, chacun a déjà joué sa part de rôle hostile à l'autre, et il continue après la séparation.
Tout n'est pas à rejeter dans la méthodologie " gardnerienne ", mais elle généralise et réduit trop les problèmes à une causalité linéaire simpliste " Parent gardien exerçant une mauvaise influence --> enfant victime qui s'ignore ". "
[Note d'SOS: Nous précisons que nous sommes totalement contre la reconnaissance de ce concept " gardnerien ", et dénonçons l'exploitation de la théorie du SAP et les conséquences sociales de l'aval donné par l'appareil judiciaire aux théories de Gardner.
Voir : Récits et témoignages d'experts sur le syndrome d'aliénation parentale, un "concept" venu des USA pour museler les victimes d'inceste et ceux qui tentent de les protéger.(Document AIVI 2O1O) ]
III L'association
1. Pour répondre à des situations d'urgence, à de pressants besoins sur le terrain et être force de proposition pour équilibrer une balance des droits, deux mamans ont créée l'association SOS les MAMANS .Pensez vous qu'au bout de 2 ans d'activité intensive, avec un nombre de dossiers croissant nous ayons une réelle utilité et portons une cause légitime ?
" Face à cette idéologie ambiante, certainement, il faut pouvoir se mobiliser. Mais restez prudentes, proches de la réalité des faits et ne tombez pas dans l'idéologie. Il faudra rester juste face aux personnes qui viendront vous interpeller car toutes ne seront pas des victimes. Pour garder vos valeurs, rester sur le chemin de la vérité il faudra toujours garder en mémoire qu'un enfant s'écoute, et que l'on ne doit pas vouloir en disposer."
2. Quels conseils nous donneriez vous pour réussir à atteindre un idéal qui tendrait à faire -respecter l'identité de chacun, -respecter les besoins des enfants et leurs droits-à revaloriser la place de la maman en tant que première figure d'attachement,-à faire respecter les droits des victimes d'inceste, de violences sexuelles, physiques, morales, psychologiques ect..
Je pense que lorsque nous tentons de défendre l'intérêt de l'enfant, les parents en vraie souffrance, comme les professionnels, nous sommes massacrés face à cette société qui prône l'égalitarisme, l'individualisme. Le conflit des générations, aussi je pense, vient s'ajouter à ces nouvelles problématiques.
Merci professeur pour cette interview
Propos recueillis par Mel
(SOS les MAMANS nov2O1O - Tous droits réservés)
La parole de l'enfant en souffrance
La parole de l'enfant en souffrance , Accuellir, évaluer, accompagner
Jean-Yves Hayez, Emmanuel De Becker
Essai Paru en 02/2010
Ce livre articule en trois parties la difficile question de la parole de l'enfant en souffrance : la première est consacrée à des observations de terrain. La 2e propose une évaluation de la parole de l'enfant, en fonction des concepts d'authenticité et de fiabilité. Enfin, les auteurs étudient la manière dont l'adulte peut accueillir la parole de l'enfant. L'ouvrage s'achève par quelques considérations spécifiques au travail d'expertise.
Jean-Yves Hayez est professeur à l'université de Louvain. Emmanuel de Becker Pédopsychiatre et psychothérapeute (Cliniques universitaires de Louvain), coordinateur de l'équipe " SOS - Enfants-Famille ", équipe spécialisée dans la lutte contre la maltraitance.