"La Démesure" - Interview Céline Raphael
Nous avons rencontré Cécile Raphael, lors du Rassemblement républicain et féministe du 6 mars 2012, à l'appel des associations Paroles de Femmes et Mariannes de la diversité. Elle témoignait de son enfance maltraité. Un an plus tard "La Demesure" est publiée aux éditions Max milo. Merci à elle de nous avoir accordée cette interview.
La Démesure
Max milo- 2013
240 pages
18 euros Voir en ligne
Bonjour Cécile Raphael, merci de nous accorder quelques minutes. Vous avez aujourd'hui 28 ans et êtes interne en médecine. Depuis la sortie de votre livre,La démesure, vous êtes extrêmement sollicitée. Comment allez-vous et est-ce difficile pour vous de raconter à nouveau votre histoire ?
" Bonjour! Effectivement, je suis très sollicitée depuis la sortie de ce livre mais tant mieux! Si j'ai accepté de l'écrire, c'était dans l'espoir qu'enfin, la maltraitance faite aux enfants soit médiatisée autrement qu'à l'occasion d'un fait divers sordide. Je voulais que l'on puisse en parler posément et non dans l'émotion pour que les choses avancent. C'est toujours difficile de se mettre en avant et d'être exposée surtout lorsqu'il s'agit d'histoire de ce genre mais pour ma part, j'ai fait un gros travail sur moi même il y a longtemps et raconter mon histoire ne m'atteint plus autant qu'avant. Je cherche à m'en servir pour la transformer en quelque chose de positif, pour éviter à d'autre de subir la même chose."
2. Avec Anne Tursz,pédiatre,directeur de centre de recherche à l'inserm,Daniel Rousseau,pédopsychiatre, qui a postfacé votre livre, vous avez monté un collectif scientifique.Un colloque est d'ailleurs prévu au sénat en juin 2013.Vous avez également écrit une lettre ouverte au président de la république. Est-ce à dire que votre témoignage sert plutôt à appuyer ce travail de mobilisation contre l'enfance maltraitée plutôt qu'à vous servir de catharsis
" Encore une fois, je n'ai pas besoin de catharsis! Je m'épanouis pleinement dans la vie à l'heure actuelle car j'exerce un métier que j'aime énormément, j'ai un conjoint, une vie sociale riche, des loisirs...bref, je ne suis pas à plaindre. Néanmoins, l'expérience que j'ai de mon enfance est une richesse car lorsque je parle de maltraitance, on m'écoute et mon témoignage est important car il met en lumière les failles du système. C'est pour cette raison que je m'en sers pour alerter les citoyens et les politiques, dans l'espoir qu'il permette de faire avancer les choses, pour les autres enfants qui vivent actuellement la situation que j'ai vécu lorsque j'étais plus jeune. "
3. Votre histoire bouscule les préjugés, Cécile Raphael, selon lesquels les enfants maltraités seraient issus de milieux défavorisés. Justement de quel milieu venez-vous ? Et qui sont vos parents ?
" Je suis issue d'un milieu très favorisé, mon père étant directeur industriel. Effectivement, la croyance populaire veut que la maltraitance soit un phénomène marginal qui n'arrive que dans les familles marginales. Or c'est faux! La fréquence de la maltraitance est la même dans les familles défavorisées comme dans les familles favorisées. Si les statistiques sont plus en faveur d'une certaine classe sociale, c'est simplement parceque les familles précaires sont plus suivies par les services sociaux. Au contraire, dans les familles aisées, il y a une énorme chape de plomb. Il faut à tout pris protéger les apparences. Il en va de même pour les femmes battues qui le sont de tout milieux."
4. Et donc ce père, bien sous tous rapport aux yeux de tous, vous instruit quasi exclusivement après la naissance de votre petite sœur en novembre 1985.Il vous achète un piano en 1986,vous avez alors deux ans. Que se passe-t-il ensuite concrètement ?
"Mon père aurait souhaité faire du piano lorsqu'il était petit mais ses parents n'en avaient pas les moyens car trop pauvres. Il a donc réalisé son rêve à travers moi et à développer une obsession pour cet instrument. Il fallait que j'en joue à la perfection."
5. En Allemagne la méthode de votre papa de « dressage physique et psychologique » évolue encore. Mme Tonnen, votre professeur de piano se montre extrêmement exigeante avec vous. Vous dîtes que cette exigence a en quelque sorte déteint sur votre père. Est-ce à dire que vous excusez votre père et pouvez-vous nous décrire les maltraitances subies sous couvert de vous apprendre le piano ?
"Cette professeure de piano a persuadé mon père que j'avais un talent ce qui l'a conforté dans une idée qu'il se faisait déjà. Elle n'a fait que renforcer sa conviction. Puisque j'avais un talent, il fallait l'exploiter. A partir de ce moment là, plus aucune place n'était laissée à la médiocrité. Dès l'âge de 4 ans, je pouvais faire jusqu'à 4-5h de piano par jour. A la fin des séances, mes doigts commençaient à fatiguer et je faisais des fautes. Mon père mettait cela sur le compte de la mauvaise volonté et a commencé à mettre en place un système de punition à base de coups de ceintures, de savates, de privations de nourriture, d'enfermement, pour me faire payer cette “mauvaise volonté”."
6. Les enfants laissent des petits cailloux derrière eux pour signifier leur souffrance. Vous, Céline Raphael, personne ne remarque rien ou plutôt ne veut voir. Comment l'expliquez-vous et en voulez-vous à ceux qui n'ont rien fait ? (par exemple un de vos professeurs trouvait normal ce dressage éducatif). Ensuite, comment votre mère et votre soeur arrivaient tout de même à vous préserver ?
"Je pense qu'étant la fille du directeur, les gens ne se sont pas imaginés un seul instant que je pouvais être battue parce qu'encore une fois pour eux, ce problème n'arrive que dans les familles défavorisées. Quand je ratais l'école, les professeurs pensaient que je me le permettais “parce que j'étais la fille du directeur”. Je ne leur en veux pas. En revanche, mon dernier professeur de piano a vu des hématomes un jour sur mon bras. Il savait combien mon père était dur. Il a dit “on a rien sans rien” donc par contre, lui qui a vu est coupable d'avoir fermé les yeux.
Ma mère a essayé de s'opposer à mon père au début mais, incidieusement, il lui a fait comprendre qu'il avait la bonne manière d'éduquer et qu'elle ne valait rien. Il lui a tellement répété qu'elle a fini par se persuader qu'elle ne valait rien et qu'elle était nulle. Une fois soumise, il avait le champ libre...Elle n'est pas partie car elle était persuadée qu'il prendrait les meilleurs avocats et qu'il aurait notre garde. Peut être n'avait elle pas tort! Du coup, elle est restée et a essayé de me protéger comme elle a pu. Quand j'étais privée de manger, elle me cachait de la nourriture en douce dans mon armoire à vêtement, pour que mon père ne me rase pas la tête, elle planquait les ciseaux le vendredi soir, pour que je sorte un peu m'amuser le mercredi après-midi, elle débranchait le téléphone... Elle m'a aidé à survivre."
7. Votre maman était visiblement sous emprise et avait peur de perdre votre garde. Votre récit laisse penser que votre père était ce que l'on nomme aujourd'hui un pervers narcissique. A sos les mamans nous avons souvent affaire à des mères qui constatent des violences physiques et(ou) sexuelles sur leur(s) enfant(s) mais qui éprouvent des difficultés à les faire reconnaitre Comment faire pour être cru lorsque l'on dénonce de tels faits et ne pas être accusée de pseudo syndrome comme le sinistre s-a-p qui fait tant de dégâts?
"Mon père n'était pas un pervers narcissique car il ne cherchait pas à se mettre en avant. Aucun côté narcissique chez lui. Il avait en revanche une personnalité obsessionelle et paranoiaque (ce qui n'est pas mieux!). Je pense que pour être crue lorsque l'on dénonce de tels faits, il faut des preuves. Il faut faire constater les hématomes systématiquement, les lésions ...et ne pas avoir peur de déposer des mains courantes systématiquement ou déposer plainte. A la justice de faire ensuite son travail d'enquête pour vérifier les dires de la mère ou du père. Ces situations de d'aliénation parentale sont très complexe mais je ne suis pas experte dans ce domaine!”..
8. D'ailleurs à un moment le corps médical s'est trompé à votre sujet suite à un coup de votre père puisque vous avez été diagnostiquée atteinte du syndrome de Münchhausen. Comment expliquez-vous, vous qui êtes justement interne en médecine, que le corps médical ait privilégié cette pathologie et ne voit pas l'évidence à savoir la maltraitance à votre encontre d'un de vos parents ? Comment aujourd'hui en 2013 remédier à cela ?
"Il existe un terrible manque de formation des professionnels de l'enfance, médecins et enseignants notamment, en matière de repérage et de prise en charge de la maltraitance. Comment trouver une lésion suspecte quand on a jamais été formé à cela? Par exemple, si un enfant arrive aux urgences avec une fracture du bras et que le parent dit “il est tombé”. Si l'interne qui le prend en charge voit sur la radio une fracture spiroide (en spirale) et qu'il n'a pas été averti que ces fractures là sont incompatibles avec une chute (les chutes donnent des fractures transversales) mais plutôt avec une torsion du bras, il va platrer l'enfant et le laisser repartir sans s'être posé de question!!!
Pour ma part, ce manque de formation a joué de même que l'éternelle croyance que la maltraitance n'arrive pas dans les familles comme la mienne."
9. Après des coups, un soir, votre père vient se blottir contre vous, dans votre chambre. Vous rentrez en quelque sorte en résistance en refusant de manger et vous devenez anorexique. Avez été plus meurtrie par cet arsenal de violences psychologiques visant à vous déshumaniser (se blottir après des coups vous faisant croire qu'il vous protégeait, vous comparez à un sous-animal, vous tondre le crâne) que par les violences physiques ?
"Les coups s'effacent et on apprend même à ne plus les sentir. En revanche, les violences psychologiques, les mots qui blessent vous entaillent le coeur et les cicatrices restent bien présentes. J'ai mis très longtemps à avoir un peu confiance en moi car mon père me répétait que j'étais “pire qu'un chien”. La violence psychologique, c'est prouvé dans les études internationales, fait beaucoup plus de ravages que la violence physique."
10. En 1998 au lycée votre professeur de français vous demande de remplir une fiche, vous y annotez « 45h de piano par semaine ».L'infirmière scolaire Mme Marion est avertie et elle vous prend sous son aile, une bénédiction. Sans elle que ce serait-il passé ? L'avez-vous revu ? Et pouvez-vous concrètement nous expliquer comment le personnel enseignant, Médical, etc...en 2013 pourrait mieux déceler les signes de maltraitances à enfants ?
"Sans l'intervention de Mme Marion, je suis persuadée que je serais morte. Je n'en pouvais plus. Je me serais laissée mourir. Nous avons toutes les deux gardé un lien très fort et nous nous revoyons de temps en temps. Le personnel enseignant et médical a besoin de formation pour mieux déceler les signes de maltraitance mais aussi pour en avoir moins peur."
11. Vous êtes ensuite prête pour aller en justice, de fait vous êtes placée dans des foyers et le récit devient presque ubuesque. La justice vous met d'ailleurs au « secret » un certain temps craignant la réaction de votre père. Il est finalement condamné. Que ressentez-vous ? Et que pensez-vous de sa condamnation pénale ?
"Sur le coup, l'annonce d'un procès a été un grand choc psychologique. Je n'y étais pas préparée.
Je portais en moi une grande culpabilité, celle de détruire ma famille. Pourtant, être reconnue comme victime fut salutaire et extrêmement important pour ma reconstruction. Mon père a été condamné à de la prison avec sursis. J'étais satisfaite de cette condamnation car une peine de prison ferme n'aurait rien changé. Il a une pathologie psychiatrique. La prison ne guérit pas ce genre de chose. L'important est d'être reconnu victime pour que notre souffrance ne puisse jamais être niée.
"
12. Une fois condamné vous retournez néanmoins vivre dans votre famille pourquoi ?
"Je suis rentrée chez moi à ma majorité dans l'optique de venir chercher ma petite soeur et de repartir définitivement avec elle après avoir tout mis en place (bourses, logement...). Je savais qu'en restant placée, je ne pourrais pas faire des études de médecine car à 18 ou 21 ans, l'aide sociale à l'enfance vous met dehors sans aide financière..."
13. Comment ont réagi vos parents lorsque vous leur avez annoncé la parution du livre? Et comment expliquez-vous le déni de votre père encore si vivace aujourd'hui, est-ce à votre avis une séquelle des violences qu'il a lui-même subit enfant ?
"Ma mère a été très peinée de cette parution car ce livre remue le couteau dans une plaie encore ouverte. Elle culpabilise beaucoup et a beaucoup de mal à se remettre de n'avoir pas su me protéger mieux. Elle m'a néanmoins dit de faire “en mon âme et conscience” et m'a dit à l'occasion d'une émission de télé qu'elle était fière de moi. Mon père lui ne m'a pas fait signe. Certainement pense t'il que j'ai écris un roman qui ne le concerne pas. Son déni est lié à son enfance et à la pathologie psychiatrique qui en a découlé."
14. Lors d'interview vous avez expliqué qu'il fallait dédramatiser afin de mieux libérer la parole et faire en sorte de lever le tabou. Quelles sont aujourd'hui pour vous les séquelles de cette décennie de maltraitances physiques et psychologiques ?
"J'ai mis de longues années à ne plus être en permanence sur le qui-vive, à dormir du côté de la fenêtre et non du côté de la porte. J'ai mis beaucoup de temps également à avoir un peu confiance en moi mais je doute encore beaucoup. Je subis également aujourd'hui les séquelles de 10 ans d'anorexie."
15. Une dernière question Céline Raphael, vous projetez vous aujourd'hui en tant que maman ?
"Pour l'instant, avec mon internat en médecine très prenant, je n'ai pas eu vraiment le temps de m'y projeter. Pourtant, si j'y réfléchis, je me dirigerais plus vers l'adoption. Il y a sur terre des enfants qui sont déjà là sans avoir rien demandé et qui sont malheureux. Je ne cherche pas à être mère à tout prix. Je n'en ressent pas le besoin. En revanche, j'ai de l'amour a donner et je pense que je pourrais pleinement m'épanouir dans cette démarche. Prendre un enfant par la main, lui proposer mon amour et ma bienveillance et faire la route avec lui!"
Merci infiniment à Céline d'avoir répondu à nos questions
(SOS les MAMANS Avril 2O13 - Tous droits réservés)