Violences envers les femmes « Passer à une réelle protection »

L'Observatoire des violences envers les femmes du 93 a passé au crible 24 homicides avant d'avancer des propositions pour mieux endiguer ce fléau.Entre 2005 et 2008, 24 femmes sont mortes sous les coups de leurs compagnons en Seine-Saint-Denis. Une réalité révélée et étudiée par l'Observatoire départemental des violences envers les femmes. Pour sa responsable, Ernestine Ronai, il est possible de faire reculer ces violences.

Comment l'idée de cette étude s'est-elle imposée ?


Ernestine Ronai. Elle a été rendue possible parce que, à partir d'avril 2005, nous avons décidé que plus aucune femme tuée par son mari ou son compagnon ne partirait sans qu'une marche silencieuse ne soit organisée. En quatre ans, de l'individuel, nous sommes passés au collectif. Il n'y a pas plus d'assassinats de femmes en Seine-Saint-Denis qu'ailleurs mais ici existe un observatoire qui travaille avec la police et la justice. Une structure qui mériterait d'ailleurs d'être développée ailleurs parce qu'on peut faire reculer les violences conjugales.

Quelles sont les conditions pour y parvenir ?


Ernestine Ronai. D'abord, il est fondamental que les femmes victimes se signalent, ne restent pas seules dans leur coin. Pour qu'elles fassent cette démarche, il faut qu'elles y croient, que des mesures de protection soient clairement affichées, avec plus de détermination que cela ne se fait aujourd'hui. Cela passe par une formation en profondeur des professionnels - police, justice, services sociaux -, par une sensibilisation du grand public et par une prévention auprès des jeunes.

Pourquoi mettez-vous l'accent sur le droit de visite ?

Ernestine Ronai. À ce moment-là, le risque de passage à l'acte violent est réel. Lors du meurtre de la femme par son mari, notre étude a révélé que sur douze enfants présents, quatre ont été assassinés. La femme et les enfants sont en danger vital à ce moment-là. Il faut donc mieux protéger le droit de visite quand il est accordé par le juge. Nous proposons d'adopter une mesure qui existe déjà en Suède : l'accompagnement protégé. Un adulte référent - venant d'une institution habilitée - vient chercher l'enfant au domicile de la mère, l'accompagne chez le père, s'assure que tout va bien chez celui-ci avant de le laisser. Il assume le retour, quitte à faire un signalement si cela ne s'est pas bien passé chez le père. Ainsi, mère et enfant sont rassurés et on évite tout contact entre les deux parents. Si le père a des paroles violentes contre sa femme, le juge des affaires familiales pourrait suspendre le droit de visite pendant le temps d'une enquête sociale, par exemple.

En quoi consiste l'ordonnance de protection que vous proposez ?

Ernestine Ronai. La loi a créé un juge délégué aux victimes, en 2007. Nous proposons que ce juge ait la possibilité de prendre une mesure de protection à l'égard de la femme au cours d'un débat contradictoire en présence du procureur de la République. Même une femme sous l'emprise de son mari pourrait être protégée par une décision du procureur. L'ordonnance de protection serait remise à la femme, qu'elle puisse reprendre ainsi sa vie en main grâce à des droits nouveaux. Elle pourrait se servir de cette ordonnance, par exemple, pour demander un logement à la mairie parce qu'elle veut quitter le domicile conjugal, auprès du juge des affaires familiales à propos du droit de visite des enfants, pour réclamer en urgence le RSA… Cette façon de faire permet à la femme de reprendre le contrôle de sa vie sans être victimisée.

Que proposez-vous pour rendre effective cette ordonnance ?

Ernestine Ronai. Il faut pénaliser la violation des dispositions qui seront prises dans l'ordonnance de protection. Par exemple, l'interdiction de paraître au domicile de la femme, prononcée assez fréquemment aujourd'hui, n'est pas forcément suivie d'effet. Si l'homme est au bas de l'immeuble de la femme protégée et que celle-ci téléphone à la police, l'homme sera prié de s'éloigner mais comme ce n'est pas un délit, la police ne pourra pas l'emmener. Elle va prévenir le juge qui convoquera l'homme, plus tard. La pénalisation permettrait d'appliquer vraiment les interdictions formulées par la justice. Aujourd'hui, ce sont trop souvent des voeux pieux alors que ces femmes ont besoin d'une réelle protection.